George Noël,   » fort attaché à la religion romaine, qu’il professe à présent, ayant abjuré l’Anglicane dans laquelle il avait été élevé. « 

Nous avons pu retrouver des documents qui attestent effectivement les propos du gouverneur Boucher. En 1714, Georges fait baptiser  « deux petites négresses » :

 » L’an 1714, le douzième du mois d’aoust, par moi frère Nicolas (Laurens) Duval, religieux augustin et curé de l’île de Bourbon a été baptisé deux petites négresses appartenant au sieur  Georges Noël (..) la première a eut pour parrain, le sieur Des Portes de Saint Hubert et pour marraine Marie Anne Royer. La seconde a eu pour parrain le sieur  Jacques Auber le fils et pour marraine Genevière Royer le dit jour et an que dessus « 

Les marraines sont deux des sœurs  cadettes de Catherine. Nous retrouverons aussi plus tard les deux parrains. Ce jour là, le frère augustin n’inscrit ni l’âge ni les prénoms des enfants.

Marie Anne et Geneviève ont elles « nommées » les petites filles comme elles, ainsi que de coutume ? Car nous retrouvons, une Geneviève, malgache, d’âge concordant au recensement de George Noël en 1733.

George est dit aussi par Boucher : «  fort obéissant, libéral, et soumis sans avoir aucun des vices ordinaires aux Anglais qui sont presque toujours mutins. « 

Et bien, George Noël va se montrer plus «  libéral «  qu’on ne le veut. En effet, le 21 janvier 1733, le procureur général de la colonie émet un réquisitoire au Conseil supérieur. George Noël  a une attitude impensable envers ses esclaves. Il est dénoncé. De quoi s’agit il ? Il autorise ses esclaves à vivre comme homme et femme !  Il les autorise à se marier ! Scandaleux ! Infâme !

« Réquisitoire du 21 janvier 1733
Ce jour le procureur général du roi…
Messieurs, j’ai eu avis que Georges Noël habitant de ce quartier, bien  loin
d’empêcher tout commerce honteux entre ses noirs et négresses, non seulement
l’autorisais, mais même s’ingenois  de marier ses esclaves ensemble en donnant
à chaque esclave male une femelle, en leur ordonnant de vivre entre eux comme homme,
et femme, ainsy qu’il l’a fait entre les nommés Baptiste l’un de ses noirs, et
une de ses négresses ; ce qui est un macquerellage, et une prostitution infame
et un mépris inexcusable d’un sacrement institué par le créateur d’avec
l’état d’innocence, et par le verbe dans l’estat de la nature corrompue,
lequel  ne peut être administré que  par ses ministres qui en ont l’autorité,
et plusieurs autres un peu moins coupables n’entreprennent point véritablement
d’accoupler comme des bêtes leurs ames pour lesquelles  JC est mort,
mais par une négligence inexcusable …
(ou) « au contraire assez d’indifférence pour le salut de leurs esclaves
(certains)  pour laisser leurs négresses dans des
cases non fermées, livrées à  (…) leurs passions
déréglées et au penchant naturel qu’elles ont pour le desordre et le libertinage
……………et exciter la colère de Dieu sur la colonie .
C’est Messieurs, ce qui fait l’objet du présent réquisitoire »

Le procureur vient de déposer ses conclusions et demande l’avis du Conseil et ordonne  qu’il fasse  :

« très expresse inhibition et défense à toute personne de
quelque qualité et condition que ce soit de s’immiscer de
faire aucune conjonction  (… ) entre leurs noirs et leurs
négresses, pour quelque pretexte que cela puisse être ; en conséquence
ordonne que les négresses seront logées nuitamment dans des cases
séparées des noirs et fermant à clef, (…) a peine contre les
contrevenants d’être traités suivant la rigueur de l’ordonnance et
l’exigence des cas, ordonne en outre que le dit Georges Noël
sera assigné pour être oüy de l’accusation a lui imposée par devant
Mes Jacques Auber Cones commissaire en cette partie, pour
interrogatoire, rapporté et communiqué au procureur général etre
ordonné ce qu’il y appartiendra. Car affin que personne n’en
prétendre cause d’ignorance, la présente ordonnance sera
leüe publiée et affichée partout au besoin sera. Fait et
arreté en la chambre du Conseil le vingt et un janvier mil
sept cent trente trois. « 



La colonie veut faire un exemple. On culpabilise les colons, on leur fait peur. On moralise. Le texte comporte plusieurs signatures, dont celle du Gouverneur de la colonie Pierre Benoît Dumas (de 1727 à 1735). C’est  à lui que l’on doit ce réquisitoire  et cette ordonnance au lyrisme  surexcité et implacable . Que veut il faire entendre?  Que l’emprise de la société, abritée derrière des relents chrétiens est plus forte que le religieux. Que le mariage des esclaves n’est pas compatible avec leur statut. Ils ne s’appartiennent pas. Ils sont considérés comme  » meubles  » (article 39, Lettres patentes 1723).Ils ne peuvent donc prétendre à fonder une famille. Leur mariage est impossible sans le consentement des maîtres.  Ils pourront aussi être plus facilement vendus séparés.

Nous voyons là, une des contradictions du contexte flou de la vie à Bourbon.On condamne la débauche, mais on n’autorise pas une vie réglée pour des êtres au statut inférieur. Le Code Noir a bien institué, en son article premier en 1723, l’obligation du baptême pour les esclaves :

« Article 1er- :  » Tous les esclaves qui seront dans les îles de Bourbon, de France et autres établissements voisins seront instruits dans la religion catholique « .

Pourtant, si on suit le Procureur, les esclaves  qui ne sont pas encouragés à se marier,   vivront  en concubinage et donc dans le pêché. Qu’en pense le clergé ? Les frères lazaristes, arrivés via Pondichéry, en décembre 1714, sont peu nombreux et alternent difficultés et conflits avec l’administration coloniale et les colons  ingérables. Ils n’arrivent que rarement à concilier leur mission évangélique et les mœurs des habitants. Dans le même temps, ils sont eux même  parfaitement intégrés dans le système esclavagiste, possèdent des esclaves et vivent  donc la même réalité économique que les propriétaires.

Le Procureur Général a raison. Il faut faire entendre raison aux colons en général et à George en particulier.  Car ce dernier s’est débrouillé avec Dieu. Nous retrouverons, en son habitation, grâce aux  recensements et aux actes notariés, non pas un, mais six couples mariés : Antoine & Agathe,

Louis & Marie,

Francisque & Julienne,

Robert & Suzanne,

Henry & Barbe.

Soit la majorité de ses esclaves car seuls les plus âgés, quelques hommes et les plus jeunes ne le sont pas.

Que voulait George, le libéral, pour ses esclaves ?

Une simple vie de famille.

Sabine Noël

Remerciements à Prosper EVE pour nous avoir permis de retrouver ce document, cité et référencé dans son ouvrage : «  Ile à peur : la peur redoutée ou récupérée à la Réunion des origines à nos jours. Océan éd., 1992.

© Sabine Noël

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