Il ne faudra pas moins de 15 feuillets à François Adeline, notaire du canton sud pour dresser acte des dispositions prises par le citoyen Jean Lafosse, curé de la paroisse St Louis en faveur des nommés Agathe, Cécile et Antoinette. Nous sommes en l’an troisième de la république une et indivisible. Le citoyen Lafosse en un acte d’une longueur et d’une précision inhabituelles veut tenir la promesse faite à Pierrot :
« en considération des bons services
et de l’attachement que lui a constamment
témoigné le susdit Pierrot et pour procurer
à ce bon vieillard, la douce consolation de
voir avant sa mort, ses enfants jouir
du don precieux de la liberté. »
(…)
« pour m’acquitter et satisfaire à la fois la justice et l’humanité «
Cette requête a été demandée à l’assemblée coloniale l’année d’avant. Malheureusement, Pierrot est mort depuis. Vont être énuméré ensuite les différentes conditions du legs, A savoir surtout les soins à apporter finalement aux deux vieillards. Dans un premier temps, à Pierrot, le père esclave. Ensuite, à lui, Curé Lafosse le maître qui va les affranchir et qui se sent vieillir.Il va demander à Agathe et Cécile de comparaître devant le notaire pour leur demander si elles veulent bien rester auprès de lui . Elles se montreront alors d’un esprit exemplaire :
« ayant répondu qu’elles
étaient pénétrées de reconnaissance pour
le comparant leur bienfaiteur, qu’elles
regarderaient comme une nouvelle faveur
de sa part, s’il voulait bien leur permettre
de rester auprés de lui pour le soigner
dans ses infirmités, que c’était là l’usage
qu’elles avaient toujours cru faire de
leur liberté, qu’accoutumées à peu de
besoins, elles ne désiraient de la géné
rosité du comparant que ce qu’il croirait
lui même leur être nécessaire pour
avec le jour de leur travail pouvoir
subsister,sans courir risque de devenir
à charge de la colonie, si Dieu venait à disposer
de lui avant elle que puisqu’il leur était
permis de s’expliquer avec franchise, elles
le priait de convertir l’emplacement
situé proche la rivière St Etienne qui
leur destinait en un autre moins vaste
……. ».
Agathe et Cécile restent avec leur bienfaiteur et demandent même un terrain moins grand, pour ne pas s’éloigner du curé !
L’histoire est édifiante, mais pas tout à fait heureuse en sa totalité. Il n’ y a pas d’affranchissement heureux. Le Curé n’a pas les moyens d’affranchir toute la descendance de Pierrot . Ainsi, Pierre, père de Cécile a une trop nombreuse famille. Il le nommera tuteur de sa fille. ( ce qui a du être refusé par la municipalité, un esclave n’ayant aucun droits) Et lui, se nomme tuteur d’Antoinette, onze mois, fille de Cécile.Quel choix déchirant a été demandé à Pierrot au seuil de la mort, de distinguer parmi ses enfants, ceux qui méritaient la liberté!
« le bon vieillard
a jeté les yeux sur elle et a fixé son
choix (…) ses enfants qu’il attends
les secours que son grand âge exige. »
Le curé Lafosse va s’attacher dans l’acte que saisit d’une plume rapide et enlevée François Adeline à prévoir tous les cas de figure attachés à sa donation. Suivant le terrain choisi, suivant le départ de l’une ou des trois femmes, tout est passé au crible. Il prévoit aussi, la case de bois rond à bâtir, le poulailler, le linge, les marmites ,… et le financement des bâtis et les gages des affranchies dans toutes les situations , même s’il mourrait avant l’execution des présentes.
Et don suprême, le notaire et les témoins ont du sursauter à moins qu’il ne fussent habitués à ce singulier curé, il leur fait don de son patronyme :
« esclaves comme de fait et les affranchit
toutes trois, voulant que dés aujourd’hui
date des présentes, elles jouissent généralement
des droits et privilèges attachés au don
précieux de liberté, avec la faculté de prendre
son nom si mieux elles n’aiment en prendre
un autre qui efface tout vestige de leur
ancienne servitude «
Qu’est il arrivé ensuite ?
Le Père Lafosse, « curé des noirs » ,« dangeureux agitateur », sera condamné à être déporté en Inde pour ses idées abolitionistes.
Pour Agathe, Cécile & Antoinette, l’affaire est à………..suivre.
Sabine Noël
Recherches CNAOM, 2009
© Sabine NOËL.
TEXTES ET DOCUMENTS SOUMIS À L’AUTORISATION DES AUTEURES
1 commentaire
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22 mars 2010 à 10 h 46 mi
Jean-Michel
« Personne ne peut parler de Liberté plus que celui qui en est privé »!
C’est ce à quoi devait songer le Père Lafosse venu se recueillir devant la dépouille de son cher Pierrot qui,après une vie de dévouement,était devenu son ami tout en restant,hélas,toujours esclave.
Dès l’an II,en effet,le bon Père caressait le projet de faire rendre la liberté à son fidèle esclave. Dieu ne lui en laissa pas le temps! Alors,rassemblant tout ce qui restait de ses faibles moyens,il se rendit chez le notaire le plus proche et fit affranchir,selon les voeux du défunt,une partie des membres de la famille de son ami,allant même jusqu’à donner son propre patronyme à chacun des intéressés!
C’est ainsi qu’Agathe,Cécile et Antoinette ,trois nouvelles citoyennes s’installèrent dans leur île baptisée depuis peu « La Réunion »!